Le droit maritime à l’épreuve des énergies marines renouvelables : enjeux juridiques et perspectives d’avenir

Face à l’urgence climatique et à la nécessité de diversifier les sources d’énergie, les océans apparaissent comme un gisement inexploité d’énergies renouvelables. Éolien offshore, hydrolien, houlomoteur ou énergie thermique des mers représentent autant de technologies prometteuses qui soulèvent des questions juridiques complexes. Le déploiement de ces infrastructures en mer se heurte à un cadre légal initialement conçu pour d’autres usages. Entre souveraineté des États, protection de l’environnement marin et sécurité de la navigation, le droit de la mer est mis au défi d’accompagner cette transition énergétique marine tout en préservant l’équilibre fragile des écosystèmes océaniques et les intérêts parfois divergents des différents acteurs maritimes.

Cadre juridique international des énergies marines renouvelables

Le développement des énergies marines renouvelables (EMR) s’inscrit dans un paysage juridique international dominé par la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (CNUDM) de 1982, véritable constitution des océans. Ce texte fondamental fixe les droits et obligations des États dans leurs différentes zones maritimes sans toutefois mentionner spécifiquement les EMR, concept qui n’existait pas lors de sa rédaction.

La CNUDM établit différentes zones maritimes où les droits des États varient considérablement. Dans la mer territoriale (jusqu’à 12 milles marins des côtes), l’État côtier exerce sa pleine souveraineté et peut donc implanter librement des installations d’EMR, sous réserve de respecter le droit de passage inoffensif des navires étrangers. Au-delà, dans la zone économique exclusive (ZEE, jusqu’à 200 milles), l’article 56 confère à l’État côtier « des droits souverains aux fins d’exploration et d’exploitation, de conservation et de gestion des ressources naturelles, biologiques ou non biologiques, des eaux surjacentes aux fonds marins, des fonds marins et de leur sous-sol ».

Cette disposition, complétée par l’article 60 qui traite des installations et ouvrages dans la ZEE, constitue la base juridique internationale pour l’implantation d’infrastructures d’EMR. Les États côtiers jouissent d’un droit exclusif de construire, autoriser et réglementer ces installations, mais doivent tenir compte des règles internationales relatives à la navigation. Ils peuvent établir des zones de sécurité raisonnables autour de ces infrastructures, sans que celles-ci puissent constituer des îles artificielles générant leurs propres zones maritimes.

Le plateau continental, qui peut s’étendre au-delà de la ZEE jusqu’à 350 milles marins, offre des droits similaires pour les installations reposant sur les fonds marins. En revanche, en haute mer, au-delà des juridictions nationales, le principe de liberté prévaut, rendant plus complexe l’implantation d’EMR qui nécessiterait une coopération internationale renforcée.

D’autres conventions internationales complètent ce cadre général. La Convention sur la diversité biologique impose des obligations d’évaluation des impacts environnementaux. Les conventions régionales comme OSPAR pour l’Atlantique Nord-Est ou la Convention de Barcelone pour la Méditerranée ajoutent des contraintes spécifiques. Dans le domaine de la sécurité maritime, l’Organisation Maritime Internationale (OMI) a adopté des recommandations sur le balisage des installations offshore et leur signalement sur les cartes marines.

L’influence du droit international du climat

Le développement des EMR s’inscrit dans les objectifs de l’Accord de Paris de 2015, qui vise à limiter le réchauffement climatique bien en-deçà de 2°C. Bien que ne mentionnant pas explicitement les EMR, cet accord encourage implicitement leur développement comme solution de décarbonation. De même, l’Objectif de Développement Durable n°7 des Nations Unies promeut l’accès à une énergie propre et abordable.

Ce cadre juridique international, conçu avant l’émergence des technologies d’EMR, présente des lacunes et des zones d’incertitude qui nécessitent une interprétation évolutive ou des compléments normatifs pour accompagner efficacement cette nouvelle utilisation des espaces maritimes.

  • Absence de régime spécifique pour les EMR dans la CNUDM
  • Conflits potentiels avec d’autres usages maritimes (pêche, navigation, extraction)
  • Insuffisance des mécanismes de coopération internationale pour les projets transfrontaliers
  • Nécessité d’adapter les règles de protection environnementale aux spécificités des EMR

Régimes juridiques nationaux et autorisations administratives

La mise en œuvre concrète des projets d’énergies marines renouvelables (EMR) relève principalement des législations nationales qui transposent et complètent le cadre international. Ces régimes juridiques varient considérablement d’un pays à l’autre, reflétant des traditions administratives diverses et des priorités politiques différentes en matière de transition énergétique.

En France, le déploiement des EMR s’inscrit dans un cadre juridique complexe issu de plusieurs codes (énergie, environnement, général de la propriété des personnes publiques). L’implantation d’un parc éolien offshore nécessite l’obtention de multiples autorisations: une autorisation d’occupation du domaine public maritime (DPM), une autorisation environnementale unique (intégrant l’étude d’impact), une autorisation au titre de la loi sur l’eau, et une autorisation d’exploiter une installation de production d’électricité. La procédure de mise en concurrence pour les grands projets est organisée par la Commission de régulation de l’énergie (CRE) selon un calendrier défini par la Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE).

Le Royaume-Uni, pionnier dans le développement de l’éolien offshore, a mis en place un système plus centralisé. La Crown Estate, gestionnaire du domaine maritime de la Couronne, joue un rôle central en attribuant des concessions pour l’utilisation des fonds marins. Le processus d’autorisation a été rationalisé avec la création du Planning Inspectorate qui examine les demandes pour les projets d’infrastructure d’envergure nationale, réduisant significativement les délais d’instruction.

L’Allemagne a adopté une approche planifiée avec une identification préalable des zones propices au développement des EMR dans sa ZEE. L’Agence fédérale maritime et hydrographique (BSH) coordonne l’ensemble du processus d’autorisation, y compris l’évaluation des impacts environnementaux et la compatibilité avec les autres usages maritimes.

Aux États-Unis, le Bureau of Ocean Energy Management (BOEM) gère les concessions pour les projets d’EMR dans les eaux fédérales, tandis que les États fédérés conservent leur compétence dans leurs eaux territoriales. Cette dualité peut créer des complications pour les projets situés à cheval sur ces différentes zones.

Malgré leur diversité, ces régimes nationaux partagent certaines caractéristiques communes. Presque tous ont évolué vers une simplification administrative avec la mise en place de guichets uniques ou de procédures intégrées pour faciliter l’instruction des demandes. La plupart ont également instauré des mécanismes de planification spatiale maritime permettant d’identifier en amont les zones les plus favorables au développement des EMR, réduisant ainsi les risques de conflits d’usage.

La sécurisation juridique des investissements

Les projets d’EMR nécessitant des investissements considérables sur le long terme, la sécurisation juridique des opérateurs est primordiale. Plusieurs mécanismes ont été développés:

  • Les contrats de différence (Contracts for Difference) garantissant un prix d’achat stable de l’électricité produite
  • Les concessions de longue durée (20 à 30 ans) offrant une visibilité suffisante aux investisseurs
  • Les procédures de « permitting » simplifié pour réduire les délais d’instruction et les risques de recours
  • Des garanties d’État pour certains risques spécifiques liés à l’environnement marin

Les enjeux de raccordement au réseau électrique terrestre constituent souvent un défi majeur. En France, la loi relative à la transition énergétique a confié à RTE (Réseau de Transport d’Électricité) la responsabilité de construire et financer les ouvrages de raccordement jusqu’au poste électrique en mer, allégeant ainsi la charge financière des développeurs. D’autres pays comme le Danemark ou l’Allemagne ont adopté des approches similaires avec un modèle centralisé de développement du réseau offshore.

Ces régimes juridiques nationaux, en constante évolution, cherchent à trouver un équilibre entre facilitation du déploiement des EMR, protection de l’environnement marin et respect des autres usages de la mer. Leur efficacité dépend largement de leur capacité à s’adapter aux spécificités techniques des différentes technologies d’EMR et à intégrer les retours d’expérience des premiers projets déployés.

Conflits d’usages et conciliation des intérêts maritimes

L’implantation d’infrastructures d’énergies marines renouvelables (EMR) dans des espaces maritimes déjà utilisés pour d’autres activités génère inévitablement des tensions entre usagers de la mer. La résolution de ces conflits d’usages constitue l’un des défis majeurs du cadre juridique applicable aux EMR.

Le secteur de la pêche professionnelle figure parmi les premiers concernés. L’installation de parcs éoliens offshore ou d’hydroliennes peut entraîner des restrictions d’accès à des zones de pêche traditionnelles. En France, les pêcheurs ont obtenu que la navigation et certaines pratiques de pêche soient autorisées à l’intérieur des parcs éoliens, contrairement à d’autres pays comme le Royaume-Uni ou l’Allemagne où ces zones sont généralement interdites. Des mécanismes de compensation financière ont été mis en place dans plusieurs pays pour indemniser les pertes économiques subies. Ainsi, au Danemark, un fonds de garantie alimenté par les développeurs de projets EMR permet de dédommager les pêcheurs affectés.

La navigation commerciale soulève des questions similaires. Les parcs EMR peuvent constituer des obstacles à la navigation et nécessiter des modifications des routes maritimes établies. L’Organisation Maritime Internationale a publié des directives sur l’implantation de structures offshore par rapport aux routes de navigation. La jurisprudence internationale, notamment l’affaire du détroit de Corfou (CIJ, 1949), a confirmé le principe selon lequel l’État côtier ne peut entraver de manière déraisonnable le passage inoffensif des navires. Des solutions techniques comme la création de couloirs de navigation à travers les parcs EMR ou l’adaptation des schémas de séparation du trafic ont été mises en œuvre dans plusieurs zones, comme en mer du Nord.

Les activités d’extraction de granulats marins ou d’exploitation pétrolière et gazière peuvent également entrer en conflit avec les projets d’EMR. Des questions juridiques complexes se posent lorsque des concessions se chevauchent ou lorsque des infrastructures sous-marines (pipelines, câbles) traversent des zones destinées aux EMR. En mer du Nord, des accords spécifiques ont été conclus entre opérateurs pétroliers et développeurs éoliens pour gérer ces interfaces.

Les usages récréatifs de la mer (plaisance, sports nautiques) et les considérations paysagères sont également sources de tensions. Le contentieux juridique autour du parc éolien de Saint-Brieuc en France illustre ces préoccupations, avec des recours fondés sur l’atteinte aux paysages marins et l’impact sur le tourisme local.

Outils juridiques de conciliation

Face à ces conflits potentiels, plusieurs instruments juridiques ont été développés:

  • La planification spatiale maritime (PSM), rendue obligatoire par la directive européenne 2014/89/UE pour les États membres de l’UE, permet d’organiser les usages de l’espace maritime de façon cohérente
  • Les processus de consultation publique et de débat public préalables aux autorisations de projets EMR
  • Les comités de suivi associant l’ensemble des parties prenantes pendant la durée de vie des projets
  • Les accords de coexistence négociés directement entre développeurs EMR et autres usagers

La planification spatiale maritime s’affirme comme l’outil privilégié pour prévenir les conflits d’usages. Elle permet d’identifier, en amont des projets, les zones les plus propices au développement des EMR en tenant compte des autres activités maritimes. En Belgique, le plan d’aménagement des espaces marins adopté en 2014 a délimité précisément les zones dédiées à l’éolien offshore, créant ainsi une sécurité juridique pour tous les usagers. Aux Pays-Bas, le concept de « multi-use » est encouragé, avec des expérimentations d’aquaculture au sein des parcs éoliens.

La dimension transfrontalière de ces conflits ne doit pas être négligée. Des projets EMR situés près des frontières maritimes peuvent affecter les activités des ressortissants d’États voisins. La Convention d’Espoo sur l’évaluation de l’impact environnemental dans un contexte transfrontière et la Convention d’Aarhus sur l’accès à l’information et la participation du public imposent des obligations de consultation et d’information transfrontalières.

La jurisprudence commence à se développer sur ces questions. En France, le Conseil d’État a validé en 2019 le principe de compensation financière pour les pêcheurs affectés par l’implantation d’un parc éolien offshore, tout en précisant que cette compensation devait être proportionnée au préjudice réellement subi.

L’expérience montre que la résolution précoce des conflits d’usages, par une implication de l’ensemble des parties prenantes dès la conception des projets, constitue un facteur clé de réussite pour le déploiement des EMR. Le cadre juridique doit favoriser cette approche participative tout en garantissant la sécurité juridique nécessaire aux investissements de long terme.

Protection de l’environnement marin face aux énergies renouvelables

Si les énergies marines renouvelables (EMR) contribuent à la lutte contre le changement climatique, leur déploiement n’est pas sans conséquences sur les écosystèmes marins. Le droit de l’environnement marin a dû s’adapter pour encadrer ces impacts tout en facilitant la transition énergétique.

L’étude d’impact environnemental (EIE) constitue la pierre angulaire de cette protection. Rendue obligatoire par diverses conventions internationales et législations nationales, elle doit évaluer les effets potentiels des projets EMR sur la biodiversité marine. La directive européenne 2011/92/UE relative à l’évaluation des incidences de certains projets sur l’environnement impose une EIE pour les installations de production d’énergie en mer. Ces études doivent couvrir l’ensemble du cycle de vie des installations, de la construction au démantèlement, et considérer les impacts cumulés avec d’autres activités maritimes.

Les impacts environnementaux des EMR varient selon les technologies. Les parcs éoliens offshore peuvent perturber les couloirs migratoires des oiseaux marins et provoquer des collisions. Les hydroliennes présentent des risques pour les mammifères marins et les poissons. Les câbles sous-marins de raccordement génèrent des champs électromagnétiques susceptibles d’affecter certaines espèces. Les ancrages des structures flottantes peuvent perturber les fonds marins.

Face à ces enjeux, le principe de précaution, consacré par la Déclaration de Rio de 1992 et intégré dans de nombreuses législations nationales, joue un rôle central. Il impose de ne pas attendre une certitude scientifique absolue pour prendre des mesures de protection lorsqu’un risque de dommage grave existe. Dans un arrêt de 2017 concernant le parc éolien offshore de Fécamp, le Conseil d’État français a validé l’application de ce principe en exigeant des mesures de suivi renforcées malgré l’incertitude scientifique sur certains impacts.

La séquence ERC (Éviter-Réduire-Compenser) structure l’approche juridique des impacts environnementaux. Elle impose d’abord d’éviter les impacts sur les zones les plus sensibles, puis de réduire ceux qui ne peuvent être évités, et enfin de compenser les impacts résiduels. Pour les EMR, cette séquence se traduit concrètement par:

  • L’exclusion des zones marines protégées les plus strictes (réserves intégrales)
  • L’adaptation du calendrier des travaux pour éviter les périodes de reproduction ou de migration
  • L’utilisation de technologies réduisant les nuisances (fondations moins bruyantes, câbles mieux isolés)
  • La création de récifs artificiels ou restauration d’habitats marins comme mesures compensatoires

Aires marines protégées et énergies renouvelables

La compatibilité entre aires marines protégées (AMP) et projets EMR soulève des questions juridiques spécifiques. Contrairement à une idée reçue, toutes les catégories d’AMP n’excluent pas systématiquement les activités industrielles comme les EMR. La directive-cadre Stratégie pour le milieu marin (2008/56/CE) et la directive Habitats (92/43/CEE) prévoient des mécanismes d’évaluation des incidences pour les projets situés dans ou à proximité des sites Natura 2000 en mer.

En Allemagne, certains parcs éoliens offshore ont été autorisés dans la ZEE à proximité de zones Natura 2000, moyennant des mesures de protection renforcées et des programmes de suivi scientifique rigoureux. Au Royaume-Uni, Natural England et la Marine Management Organisation ont développé des lignes directrices spécifiques pour l’évaluation des projets EMR dans les Marine Conservation Zones.

Le concept de services écosystémiques commence à être intégré dans l’approche juridique. Au-delà des impacts négatifs, les infrastructures EMR peuvent créer de nouveaux habitats marins (effet récif) et des zones de repos ou d’alimentation pour certaines espèces. En Belgique, des études scientifiques menées sur les premiers parcs éoliens offshore ont documenté ces effets positifs, conduisant à leur prise en compte dans les évaluations environnementales ultérieures.

La question du démantèlement des installations en fin de vie fait l’objet d’une attention croissante. Les législations nationales imposent généralement une obligation de remise en état du site, avec constitution de garanties financières dès l’autorisation du projet. Toutefois, certains pays comme les Pays-Bas envisagent des dérogations permettant de laisser en place certaines structures devenues des habitats marins favorables à la biodiversité.

L’incertitude scientifique entourant certains impacts à long terme des EMR justifie l’importance accordée aux programmes de suivi environnemental. La France a mis en place un programme national de suivi des impacts des EMR coordonné par l’Office Français de la Biodiversité (OFB). Ces données alimentent une approche adaptative, permettant d’ajuster les mesures de protection en fonction des résultats observés.

Cette interface entre droit de l’environnement marin et développement des EMR illustre la recherche d’un équilibre entre deux objectifs environnementaux: la lutte contre le changement climatique et la préservation de la biodiversité marine. Le cadre juridique continue d’évoluer pour intégrer les retours d’expérience des premiers projets et les avancées scientifiques dans la connaissance des écosystèmes marins.

Vers un droit maritime adapté aux défis énergétiques du futur

L’émergence des énergies marines renouvelables (EMR) a mis en lumière les limites d’un droit maritime conçu à une époque où ces technologies n’existaient pas. Face aux défis contemporains, une évolution profonde de ce cadre juridique s’avère nécessaire pour accompagner la transition énergétique tout en préservant les équilibres marins.

La planification spatiale maritime s’impose comme l’instrument privilégié d’une gouvernance renouvelée des espaces marins. Au-delà de son rôle dans la prévention des conflits d’usages, elle permet d’intégrer une vision prospective du développement des EMR. L’Union européenne a joué un rôle pionnier avec sa directive 2014/89/UE établissant un cadre pour la planification de l’espace maritime. Cette approche se diffuse progressivement à l’échelle mondiale, avec des initiatives similaires aux États-Unis (Ocean Planning) ou en Australie (Marine Spatial Planning).

La dimension transfrontalière des enjeux maritimes appelle un renforcement de la coopération internationale. Les projets de réseaux électriques offshore interconnectés, comme le North Sea Wind Power Hub qui ambitionne de relier les parcs éoliens de plusieurs pays de la mer du Nord, nécessitent des cadres juridiques adaptés. Le récent règlement européen sur les projets d’intérêt commun dans le domaine de l’énergie (RTE-E) facilite ces infrastructures transfrontalières en harmonisant les procédures d’autorisation et en prévoyant des mécanismes de partage des coûts et bénéfices entre États membres.

L’innovation juridique accompagne l’innovation technologique. De nouveaux concepts émergent, comme celui d’îles énergétiques artificielles servant de hubs de raccordement pour plusieurs parcs éoliens offshore. Le Danemark a lancé un projet ambitieux d’île énergétique en mer du Nord, soulevant des questions inédites sur le statut juridique de ces infrastructures hybrides. Le concept de multi-usage des espaces marins se développe également, avec des projets combinant production d’énergie, aquaculture et autres activités maritimes.

Le financement des projets EMR bénéficie d’innovations juridiques et financières. Les obligations vertes (green bonds) et les critères ESG (Environnementaux, Sociaux et de Gouvernance) orientent des flux d’investissement considérables vers ces technologies. La taxonomie européenne des activités durables reconnaît explicitement la contribution des EMR aux objectifs climatiques, facilitant leur accès aux financements verts.

Défis juridiques émergents

Plusieurs défis juridiques se profilent à l’horizon:

  • La question du partage des bénéfices avec les communautés côtières affectées par les projets EMR
  • Le développement d’un cadre adapté aux EMR flottantes, dont l’emprise spatiale et les impacts diffèrent des installations fixes
  • La cybersécurité des infrastructures énergétiques marines, de plus en plus numérisées et connectées
  • L’adaptation du droit aux nouvelles technologies comme l’hydrogène offshore produit à partir d’EMR

La gouvernance de cette transition maritime et énergétique mérite une attention particulière. Les modèles traditionnels, souvent sectoriels et fragmentés, montrent leurs limites face à des enjeux transversaux. Des initiatives comme l’Alliance pour les océans promue par l’Organisation des Nations Unies ou la Décennie des océans pour le développement durable (2021-2030) tentent de promouvoir une approche plus intégrée.

Au niveau national, certains pays ont créé des structures de gouvernance adaptées. Le Royaume-Uni a mis en place le Marine Management Organisation, guichet unique pour la gestion des espaces maritimes. La France a institué le Conseil national de la mer et des littoraux et des Conseils maritimes de façade associant l’ensemble des parties prenantes à l’élaboration des stratégies maritimes.

L’approche par bassin maritime s’affirme comme particulièrement pertinente. En mer Baltique, le plan BEMIP (Baltic Energy Market Interconnection Plan) coordonne le développement des infrastructures énergétiques, y compris les EMR. En Méditerranée, l’initiative WestMED promeut l’économie bleue durable, intégrant les EMR dans une vision plus large du développement maritime.

Le rôle du droit souple (soft law) ne doit pas être sous-estimé. Les lignes directrices, codes de bonnes pratiques et normes techniques volontaires complètent utilement le cadre réglementaire contraignant. L’International Electrotechnical Commission (IEC) a développé des standards spécifiques pour les équipements d’EMR. Des initiatives sectorielles comme le Forum des développeurs d’énergies marines renouvelables contribuent à l’élaboration de pratiques harmonisées.

Cette évolution du droit maritime face aux défis énergétiques illustre sa capacité d’adaptation. Loin d’être figé, ce corpus juridique se transforme pour accompagner l’une des mutations les plus profondes des usages de la mer depuis l’avènement de la navigation moderne. La réussite de cette adaptation conditionnera largement notre capacité collective à exploiter durablement le potentiel énergétique des océans tout en préservant leurs écosystèmes fragiles et la diversité de leurs usages.